by Anna Mapoubi and Patrick Joel Tatcheda Yonkeu (in French)
Introduction
L’Esclavage et la Shoah sont poétiques, c’est pourquoi on célèbre les drames. Fredonner les vexations n’est point une fantaisie ou pourrait l’être, car elles portent en elles-mêmes des tons mélodieux. L’épique par contre ne pourra se passer de ses replis, comme un bouquet de roses, il réunit dans une composition les épines et les pétales comme les feuilles sur les branches. L’esthétique de la poésie épique et la poésie dramatique ne sont pas séparables, du moins, elles ne peuvent plus l’être dans une époque où les fils semblent indéfiniment scellés ou indéfectibles telle une ionisation varésienne (Varèse, Ionisation), ils sont paramétriques et linéaires, ils traversent plusieurs plans. Un conte ou une histoire nous est orchestré selon des séquences aux relations très complexes (répétitions, superpositions, imbrications, etc.), l’anecdote est parfois menée à son apogée par plusieurs procédés, parfois elle est plus dramatique que structurale, parfois vetro ou la mélodie transparente, vient avant et parfois c’est le verbe d’abord ou la parole versi qui retourne sans cesse à la ligne pour de nouvelles trames. Dans cette installation picturale, Omraam Tatcheda s’efforce de suspendre les liens de parenté qui unissent les pétales et les épines : les points de conjonction et de disjonction d’une historiette et une intrigue amoureuse — Il est un louangeur des derniers souvenirs soumis à des forces attractives-répulsives et à des anomalies oscillant dans plusieurs inflexions et flexions. Dans un premier temps, il chante une présence, puis il invoque et évoque l’absence, il use du récit, l’enflamme d’ombre et lumière, il essaye de raconter des histoires intimes et lointaines, les motifs conducteurs d’une vie, la sienne, et celle qui l’entoure.
Versi di vetro démarre de ses rencontres, il commence à germer après une collaboration avec l’association Arte Migrante Bologne autour de l’immigration, dans le but de réunir les peuples, évoquer les naufragés, des hommes en quête de liberté, qui ferment les rideaux de cette prétendue humanité indolore. Arte Migrante organise des thématiques autour de l’art migrant, avec l’intention de créer une inclusion à travers l’art, de nombreux évènements réunissent ainsi diverses cultures et personnes (étudiants, sans-abris, travailleurs, et chômeurs, jeunes et moins jeunes). Je voulais parler du déplacement, de l’identité et de la mémoire – Je voyais ces vêtements sur les rives – ces vagues – une perte – un tissu de tension – un livre fait d’ondulations. Omraam Tatcheda met en scène et le spectateur devient le témoin direct qui soulève les conflits plus ou moins exprimés dans ces courts motifs mélodiques, harmoniques ou rythmiques, parfois un visage ou une courbe noyée laisse entrevoir le suspens, une idée ou un sentiment étrange. Tout chef d’orchestre nous invite à une méditation, celle des partitions d’une histoire, une fiction qui sera aussi la notre, si nous acceptons de décoder les notes d’une composition visuelle baignée de proportions vastes, incluant plusieurs mouvements joints ou disjoints d’instruments, des voix connues et inconnues, des notes parfois étranges qui ne cessent d’évoluer enrichissant sa palette et modifiant la syntaxe au point d’en faire éclater les structures, telle une chiffonne faisant intervenir plusieurs cordes ou notes.
Expérimentation
La recherche d’Oraam Tatcheda est caractérisée par une quête profonde de juxtaposition, la culture zen l’aide à se recueillir silencieusement dans le monde des idées. Ses structures sont souvent en évolution parallèle, tant dans l’agencement des différents mouvements que dans la construction interne de chacun d’eux. L’artiste est chargé de garantir la justesse rythmique, de surveiller la balance sonore, de maîtriser les détails, la cohérence ou les équilibres, mais surtout d’insuffler un esprit commun à plusieurs instruments. S’agit-il d’un poème symphonique ? Une volonté du contemporain de se libérer d’un cadre rigide, en incluant des possibilités multiples par l’éclatement même d’une histoire universelle ? Selon l’artiste : On ne peut plus parler de Shoah sans évoquer l’esclavage et la colonisation, il y a toujours quelque chose derrière quelque chose ; en Afrique les épopées sont devenues rares, certains peuples essayent encore de les préserver à travers les rituels. Ce linge est vaudouisant, il est une grande famille qui a peuplé des continents, il porte en lui les traces de fouets et les couleurs de l’espoir. Ainsi l’artiste nous invite dans ce balancement de matière à redonner à l’esprit ses pouvoirs perdus, la poésie la moins prévisible, l’inconscient, la passion, le souvenir d’une virginité passée. Son rêve de changer la vie et transformer le monde le pousse à être attentif aux lueurs poétiques, la culture zen est propice à la préparation de l’esprit, comme la culture vitaliste, elle ne laisse et ne néglige aucun aspect de l’existence, elle est une liane qui puise sa force entre l’utopie, l’intuition, et les vérités transmises. Omraam Tatcheda ne se soucie pas de proposer une oeuvre qui soit uniquement belle, mais il s’agit surtout de révéler le plus intime de l’esprit : ces deux installations picturales ont une présence qui dépasse leur seul aspect formel. Ainsi la quête poétique comme l’énonce le titre, dépasse largement la pratique des vers, elle est un jeu personnel et collectif, elle est la pensée même par le chatoiement infini de ses développements les moins prévisibles face à cette perte de sens, le hasard nous ouvre les portes, le hasards comme les dieux devient une composition inquiétante, une image à la télévision, à la radio, le sourire d’Alice ou d’une éternelle fille voulant traverser les miroirs. Toute oeuvre d’art est une traversée vitale de la nature ou des natures, elle regorge souvent une certaine énergie où les pensées dominantes méprisent et écrasent lesplus faibles. L’artiste use de sa culture zen pour juxtaposer les plans, et restaurer les possibilités d’auto-engendrement des formes non figuratives fondées sur des jeux de lignes.
Omraam Tatcheda conçoit des petits films tel un long poème de syllabes rythmées qui préfigure une passion pour le symbolisme, il s’interroge à ce que peut ouvrir ou donner son oeuvre, l’installation devient une nécessité, car elle entremêle inextricablement le plus grand sérieux et la plus extrême dérision de façon graduelle, par son effervescence elle est une oeuvre d’art totale qui englobe même la vie, elle célèbre les vies, l’enveloppe et la développe : au-delà de l’art, c’est la vie même. Versi di vetro explore de nouveaux lieux, des domaines tant intellectuels que visuels, elle est incontestablement une épopée, qui a pour sujet quelques grands évènements traversant un ou plusieurs territoires qui rehaussent un sentiment national ou collectif, qui laissent figurer entre deux notes des hauts et puissants personnages, la dignité des héros, de la nature, et le culte des morts ornés de comparaisons, de métaphores, et sentences. Versi di vetro c’est aussi les fleurs du mal qui charment nos envies et nos désirs intimes, c’est une inquiétante découverte des choses splendides dans des lieux les plus sombres, de la même manière qu’on décèle aussi des choses si assombries qu’une nuit sans lune et sans étoile dans les faces les plus lucides.L’art n’est plus exclusivement une question de forme, mais il est incontestablement et profondément un monde d’idées, un petit sentiment d’intellectualisme ou la probité de l’ivresse, mieux encore une orgie dosée des passions.Omraam Tatcheda démontre une fois de plus dans cette division en livres ou en cantiques selon le rituel laissé par les anciens, les grands sujets, traités avec subtilité comme l’excelle Alvaro Siza, dans les premières lignes du livre Palavras sem importância (Des mots de rien du tout), Dominique Machabert introduit l’auteur en ces mots :
Connu pour s’être toujours tenu à distance des théories, réductrices et aliénantes, alibis faciles pour qui croirait qu’il suffit de plonger la main dans un chapeau pour en tirer un lapin blanc, Siza passe – mais à tort – pour s’être opposé à elles. On en a déduit alors, qu’il n’écrivait pas ou peu. Certes, outre la qualité des oeuvres construites, c’est plutôt de ses dessins qu’on parle. Pas de ses textes ; petites formes soudaines, un peu maigres, proses poétiques, incertaines, ingénues, des notes parfois pour le creux de la main, pour mémoire, comme on parle ou comme ça vient, quand ça vient. Il dit trouver cela difficile, d’écrire, et qu’entre tous, ce sont les poètes qui y parviennent le mieux : exemplaires selon lui, aussi pour les architectes. Convaincu de l’intérêt qu’il y a à regarder du côté d’une production littéraire, que l’on dit absente chez lui, plutôt qu’à la biographie ou qu’à un catalogue, c’est à une sélection et à une traduction de ses textes, pour la plupart inédits en français, que je me suis attelé. Parti pour publier une quinzaine, choisis parmi ceux que je connaissais et d’autres, puis vingt, en voici vingt-cinq. (Dominique Machabert, in: Alvaro Siza, Des mots de rien du tout, Publication de l’Université de Saint Étienne, p.7, 2002.)
Omraam Tatcheda ne se lasse jamais de juxtaposer, parfois il dessine comme Alvaro Siza, un Swatch, il regarde par la fenêtre, cherche une idée. Il y a le fleuve Douro – qu’il n’avait jamais vu doré – Gaia, le bateau, le pont. Il demande une feuille de papier. Finalement il s’agit bien là d’un art de jongler des boules invisibles sans jamais en faire tomber une. Jongler, c’est se construire une histoire propre en cohésion avec ses origines, C’est sculpter la matière au bord de l’excès en revenant sans cesse au fonctionnalisme comme à un garde-fou.La question de l’idéologie revient d’une manière plus ou moins imposante dans les oeuvres d’art, parler de l’histoire de l’Afrique est un poids difficile à porter, à surmonter, on se demande comment dénouer le délicat ? Certaines oeuvres sont plus acides et piquantes, d’autres plus douces qu’une Mara des bois, mais comment poétiser les drames ? Selon le philosophe Alain Locke “La question n’est plus ce que les Blancs pensent du Noir, mais ce que le Noir veut faire et quel prix il est prêt à payer pour le faire.” ( Alain Locke, The philosopher who believed that art was key to Black liberation in NYTimes).